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Le thriller psychologique Doubt à Cannes

La série Doubt, réalisée en 2024 par la sud-coréenne Song Yeon-hwa, sur un scénario de Han Ah-young, a déjà été diffusée sur un certain nombre de plateformes de par le monde, notamment sur MBC et Netflix. À l’occasion du Festival international des séries Canneseries 2025 et de son Focus Corée, elle a été présentée en première européenne au public français.

Doubt, ça parle de quoi ?

Jang Tae-su est un profiler renommé, spécialisé dans l’analyse du comportement des criminels. Lors d’une enquête sur un meurtre, il acquiert petit à petit la conviction que sa fille est liée à l’affaire, sans arriver à se faire un avis. Est-elle coupable ou non ?

Le doute est instillé chez le spectateur. La réalisatrice nous emmène en même temps que les enquêteurs sur les traces de la psyché des protagonistes.
Dès la fin du 1er épisode qui ouvre plein de questions et de pistes, on comprend à quel point la série porte bien son titre. Le spectateur, tout comme le père, est en plein doutes.
À la fin du second épisode, on est vissé à son siège et on veut absolument connaître la suite.

La réalisatrice Song Yeon-hwa et le producteur Kang Hak-gu sont présents à Cannes. Ils ont eu la gentillesse d’accepter de répondre à mes questions.

En regardant les deux premiers épisodes, j’ai trouvé que les acteurs faisaient mouche dans ce drama. J’étais curieuse de savoir comment le choix s’était porté sur eux.

Nuits coréennes : Comment et pourquoi avez-vous choisi vos acteurs ?

Song Yeon-hwa : En ce qui concerne l’acteur du personnage principal, Han Suk-kyu, il s’agit d’une figure emblématique du cinéma coréen des années 90. C’est un acteur remarquable, et j’avais, à titre personnel, l’image d’un homme complet correspondant à ce type de rôle. Or, l’histoire étant celle d’un homme qui s’effondre, j’ai pensé qu’un tel contraste – celui d’un homme apparemment parfait qui vacille – aurait un impact émotionnel d’autant plus fort auprès du public. Je m’attendais à ce que ce personnage prenne toute sa dimension à travers cette chute.
Ensuite pour l’actrice Choi Won-bin, je suis convaincue que son personnage doit conserver une part de mystère, un certain secret, une profondeur de sentiment. Or, Won-bin possède cette intensité dans le regard, cette part d’ombre, ce qui m’a immédiatement séduite dès notre première rencontre.

J’avais également envie d’en savoir plus sur la façon de travailler de la réalisatrice. Sur ses méthodes pour nous mettre en immersion.

Nuits coréennes : Doubt est un slow-burn. Il y a une tension qui monte doucement et des personnages que l’on apprend à connaître petit à petit. Quelles méthodes avez-vous utilisé pour mettre en avant la relation père-fille si importante dans ce drama ?

Song Yeon-hwa : L’histoire repose sur l’évolution progressive du regard qu’un père porte sur sa fille. Ainsi, le spectateur perçoit d’abord une image partielle, fragmentaire, qu’il est ensuite invité à reconsidérer. L’approche narrative laisse délibérément de l’espace à la réflexion du public ; elle ne livre pas de réponse toute faite. Lorsqu’on présente quelque chose de manière trop rapide, trop explicite, le spectateur est enclin à adopter immédiatement une interprétation consensuelle. À l’inverse, ici, le rythme plus lent, les choix narratifs plus ambigus, suscitent l’interrogation : que signifie cette scène ? Pourquoi nous la montre-t-on ? Que pense le protagoniste à cet instant précis ? Cette part d’ambiguïté ouvre un champ plus large à l’interprétation personnelle du spectateur. C’est précisément ce que nous cherchions à susciter, car l’histoire elle-même s’articule désormais autour du point de vue intérieur d’un personnage.

La réalisatrice met beaucoup de soin dans son travail et dans les détails. C’est une goutte de soju qui coule dans un verre comme transition sur le jour de pluie. On sent également bien qu’elle aime travailler les lumières et y apporte un soin particulier.

Nuits coréennes :Il y a de nombreux plans dans des ambiances sombres, non pas intimistes mais étouffantes. Comment avez-vous géré les lumières pour avoir ce rendu ?

Song Yeon-hwa : Si vous me demandez comment j’ai procédé, c’est en réalité parce que, lorsqu’on travaille sur un drama, on a pour habitude d’utiliser un éclairage abondant, qui est ensuite retravaillé en postproduction via le processus de correction numérique.
Cependant, dans le cas de Doubt, j’ai opté pour une approche plus sélective : un éclairage projectif, ciblant uniquement les zones réellement visibles à l’image. Ainsi, il ne s’agit pas d’éclairer l’ensemble du plateau, mais plutôt de concentrer la lumière sur un élément précis — une lampe, par exemple. C’est donc un dispositif où la lumière structure toute l’image.
J’ai le sentiment que cette méthode s’accorde à l’essence de la série, tout en évoquant une lumière proche de celle de notre quotidien. C’est pourquoi j’y ai porté une attention toute particulière.

Le producteur d’une série est aussi un maillon important. Pour lui, s’engager ou non dans l’aventure est une question de choix.

Nuits coréennes :Le scénario, écrit par Han A-Young, a remporté le MBC Drama Script Contest en 2021. Est-ce que c’est cela qui vous a donné envie de vous lancer dans cette série ?

Kang Hak-gu : Bien entendu, il est nécessaire d’avoir une porte d’entrée pour rencontrer pour la première fois un auteur et son œuvre. Le fait que le script remporte ce concours représentait en cela une opportunité précieuse.
Toutefois, ce qui m’a véritablement donné envie de m’engager dans ce projet, c’est avant tout la relation entre le père et la fille, qui constituait déjà un élément central perceptible dans l’œuvre à l’époque. J’ai senti qu’il était possible d’approfondir et d’élargir cette dimension pour en faire le cœur d’un récit. C’est grâce à cette perspective que l’envie de travailler sur cette œuvre s’est imposée à moi.

Dans Doubt, la jeune héroïne fête ses 18 ans. Pourtant, on voit son père à la manœuvre sur de nombreuses actions, et cela m’a interrogée. En France, même si nous restons protecteurs envers nos loupiots qui ont atteint leurs 18 ans, légalement ils sont majeurs et totalement responsables de leurs actes. D’où ma question.

Nuits coréennes : Est-ce que la majorité en Corée du sud c’est 18 ans comme en France ? Quand l’adolescent devient-il légalement indépendant de ses parents et responsable de ses actes ?

Song Yeon-hwa : C’est 20 ans ?
L’âge que vous avez évoqué était, pour moi, un élément particulièrement significatif. C’est un âge juste avant l’entrée dans l’âge adulte, un moment où l’identité personnelle n’est pas encore pleinement définie. À mes yeux, en Corée, cet âge correspond à dix-huit ans, et c’est pourquoi cet âge revêt une importance particulière dans mon propos.

Après vérification, il semblerait que l’âge de la majorité en Corée du sud soit 19 ans en âge international, et 20 ans en âge coréen (dont l’utilisation a été plus ou moins abandonnées il y a peu) ndlr

La série Doubt a été largement primée :
Grimae Awards 2024: Best Picture (Drama), Best Director Song Yeon-hwa, Best Editing, Best Actor (Han Suk-kyu), Best Actress (Chae Won-bin)
Cine21 Awards 2024: Actor of the Year (Series) (Han Suk-kyu), New Actress of the Year (Series) (Chae Won-bin)
Drama Awards 2025: Grand Prize (Daesang) (Han Suk-kyu), Best New Actress (Chae Won-bin)

Et juste après cette interview, 61st BaekSang Arts Awards 2025: Best Director (Song Yeon-hwa), Best New Actress (Chae Won-Bin)

Nuits coréennes : Doubt a déjà reçu de nombreux prix, aussi bien pour l’image, la réalisation, les acteurs… Quel effet cela fait-il de voir le résultat des efforts de ses équipes reconnu ?

Song Yeon-hwa : C’est vraiment formidable ! Le travail a été extrêmement éprouvant, et tous les membres de l’équipe ont œuvré avec un grand dévouement. Je suis donc profondément heureuse que leurs efforts soient ainsi reconnus. À titre personnel, je suis particulièrement touchée que l’équipe technique reçoive des distinctions — comme le prix de la photographie ou celui du montage —, car cela me procure une grande fierté et une réelle joie.

Nuits coréennes : Qu’est-ce que cela fait d’être maintenant à Cannes ? Et quels genres de portes cela ouvre-t-il ?

Song Yeon-hwa : Le fait de pouvoir rencontrer un public étranger, totalement différent, représente une expérience extrêmement enrichissante. Lorsque des personnes ont vu le drama et partagé leurs impressions, cela m’a profondément touché. Bien que cette œuvre ait initialement été conçue en pensant au public coréen, certaines des questions qui m’ont été posées m’ont paru particulièrement pertinentes et significatives. Le simple fait de recevoir ce type de retour me rend très heureuse, et j’aimerais beaucoup pouvoir revivre ce genre d’échange lors de mes futurs projets. Comme vous l’avez mentionné tout à l’heure à propos de l’âge, bien qu’il s’agisse d’un aspect culturellement distinct, c’est en réalité un élément central pour moi. Le fait que cela ait été perçu et reconnu me touche profondément, et je ressens une grande gratitude.

Kang Hak-gu, Song Yeon-hwa, Nikki Terlon - avril 2025

Pour prolonger l’expérience, il faut regarder Doubt

On remercie vivement la réalisatrice et le producteur pour cette interview, ainsi que Canneseries qui a rendu cela possible.

Évidemment, maintenant que vous avez l’eau à la bouche, il vous faut regarder la série pour vous faire votre propre opinion.

Je vais quand même vous donner quelques clés pour mieux comprendre certaines finesses, parce qu’il y a des implicites coréens qui ne sont pas des évidences en France. Dans Doubt, la caméra nous parle et nous donne des indices. Mais si — comme dans d’autres œuvres — nous n’avons pas les références culturelles, nous passons à côté.

J’ai relevé 3 points dans les épisodes initiaux qui à mon sens méritent quelques lumières.

La soupe d’algues d’anniversaire

On a parlé plus haut de l’âge de la majorité. Dans le drama, c’est une soupe d’algues 미역국 qui nous dit qu’il y a un anniversaire. En Corée, traditionnellement, les femmes qui viennent d’accoucher mangent cette soupe pour les requinquer. De la même manières, leurs enfants commémorent ce moment en mangeant eux aussi une soupe d’algues.
Dans Doubt, on voit une sorte de ragougnasse liquide vert foncée dans un grand bol : c’est ça la soupe d’algues.
Heureusement, si on a raté cette info, un gâteau d’anniversaire avec des bougies arrive plus loin à l’écran.

Cuisiner soi-même

Dans notre quotidien, partager un repas peut paraître anodin. Cuisiner revêt souvent une fonction purement utilitaire – à moins, bien sûr, d’y prendre un plaisir personnel.
Dans Doubt, une scène en apparence simple revêt une forte portée symbolique : un policier rentre exceptionnellement tôt du travail — fait notable en soi dans le contexte sud-coréen, où les horaires sont souvent bien au-delà des 35 heures hebdomadaires — et se met à cuisiner.

Il ne s’agit pas simplement d’un homme qui prépare un repas chez lui. La réalisatrice choisit de s’attarder sur ce moment, en multipliant les gros plans sur la découpe minutieuse des carottes, sur l’eau portée à ébullition. Ces détails révèlent une attention toute particulière : à travers ces gestes, le personnage exprime son attachement. Cuisiner avec soin, plutôt que se contenter d’acheter un plat tout prêt, devient un acte chargé de sens — une preuve de sincérité, un effort pour l’autre.

Par cette mise en scène, le film nous montre que ce père, malgré une relation déjà marquée par la distance et une communication fragile, cherche à exprimer l’importance que sa fille revêt pour lui.
Manger ensemble est un acte précieux et intime. Le fait que la nourriture reste dans un premier temps sur la table sans avoir été touchée est aussi une façon de présenter la relation père-fille.

Enlever ses chaussures

Cette référence est déjà plus largement connue. En Corée, on enlève ses chaussures quand on rentre chez soi, ou quand on va chez les autres.
Ici, on a une scène où Jang Tae-su arrive chez lui. Dans l’entrée, il y a une paire de chaussures. Cette scène nous dit, vu le style vieillot des chaussures, que la grand-mère est à la maison. Elle nous dit également qu’il n’y a pas de seconde paire de chaussures, et donc que la fille est sortie.

Voilà, bon visionnage de Doubt !

Nikki Terlon
Nikki TERLON https://nuitscoreennes.fr/a-propos/

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